Plus qu’une solution, faire face. Les yeux verts veulent jouer avec moi et je n’ai aucune raison valable de refuser. Une chance pour moi, je ne suis plus une quiche. Disons un soufflé. C’est plus impressionnant. C’est plus gonflé un soufflé. Et puis c’est pas si terrible. On dirait un chaton. C’est pas méchant un chaton :

"Avec plaisir, nous ferons une scène ensemble. Quelle scène ?

-Je pensais à cette scène entre un homme rude et la  gamine. Une scène très intense. La différence d’âge, le physique, tout cela colle bien. Tu lis la pièce et tu me dis. Tu veux bien me donner…

-Mon numéro de téléphone ? Le voila."

Deux jours plus tard, elle me laisse un message. Tu as lu la scène ? Qu’en penses tu ? On se voit demain. Je t’embrasse.

Alors on va faire un diagnostic différentiel. Symptômes ?

- Elle l’a choisi comme partenaire alors qu’ils ne s’étaient jamais parlés. Elle l’a choisi la première, tandis que tout le monde était en train de se décider. Elle a choisi une scène trouble. Elle a pris son téléphone. L’a appelé. A terminé la conversation par je t’embrasse. Je pense que c’est un béguin.

- A ce stade là, on n’a pas assez d’informations. Ça pourrait être n’importe quoi. Poursuivez les examens. On a tout juste un faisceau d’indice, il faut plus d’infos. 

Le lendemain, première répétition. Cette fille est d’une grande douceur. Pas un oiseau tombé du nid. Une fille douce. Le genre qui plairait à n’importe quelle mère. Polie, un peu réservée. Mais pas timide. Charmante sans faire grand-chose. Craquante sans faire guère plus. Le genre de beauté qui ne fane pas.  On lit le texte. On suggère une mise en scène. Je pensais carrément qu’elle pourrait le menacer, lui monter dessus et lui mettre un couteau sous la gorge dit elle. Euh, pourquoi pas.

Et lui ? Lui c’est un psychopathe schizophrène. Il tue tout le monde dans la pièce sauf elle. Psychopathe c’est un rôle de composition. Schizophrène, on n’en est plus si loin.

 On lit le texte une première fois. Une deuxième. Une troisième. On commence à jouer la scène. C’est un peu raide pour l’instant. Au bout d’une heure de répétition, on sent qu’on a besoin d’une pause. Elle se glisse derrière le piano qui traînait là, par hasard, et commence un morceau du genre de ceux qui passent dans les saloons de Lucky Luke. Et bien sûr, tout le monde commence à faire un french cancan. Enfin, tout le monde, tous les mecs. Une fois le fou rire passé, on remonte sur scène.

On rejoue la scène encore et encore. On modifie petit à petit les déplacements, on rallonge les silences. On commence à jouer, et plus à réciter. C’est quelque chose de nouveau pour moi et j’ai un peu de mal à rester concentré longtemps. Au bout de trente minutes, histoire de détendre l’atmosphère, au lieu de commencer par ma réplique, je cite de mémoire une scène d’un film qui parle à l’inconscient collectif.

Ma partenaire ouvre la porte. "Bonjour, je suis le réparateur de photocopieuse, je viens vous mettre une cartouche !"

Elle rit et s’énerve un peu en même temps. "Comment tu veux que je t’embrasse si tu fais le con !" 

La voila notre info ! C’est un béguin. Bien joué Foreman.

- Mais c’est Chase qui… !

- Ne m’interrompez pas. Vous croyez que le patient va tenir le coup ?

- On n’a qu’une seule manière de le savoir. Il faut provoquer une crise.

- Tiens, vous devenez un homme ! Attendez vous à voir pousser des poils un peu partout mon garçon.